par Aralias » 13 Déc 2015, 13:42
Phobie 2.0 : les rapaces
Une plaine. Une vaste plaine plutôt aride, avec quelques arbres et rochers par endroits. Malgré la petite brise qui me chatouille le visage, il fait plutôt chaud, le soleil étant à son zénith.
- Qu'est ce que je fais là, moi ?
Pas de réponse. Bon, fallait s'y attendre, je suis seul dans le coin. Regard circulaire dans l'espoir de trouver un quelconque indice sur la direction à prendre. Raté, la plaine est la même partout, et pas de panneau providentiel à l'horizon. Réprimant un soupir, je décide d'avancer au hasard, faute de mieux.
Au bout d'un moment (plusieurs minutes ? Une heure ?), la chaleur m'oblige à chercher un coin d'ombre pour faire une pause. Je transpire à grosses gouttes, j'ai soif, et une désagréable impression d'avoir fait tout ce chemin pour rien me trotte dans la tête. Le décor n'a pas bougé d'un iota : aride, plat et désespérément morne.
Je finis néanmoins par dénicher un arbre desséché mais bien orienté, et m'affale contre son tronc.
- Bon, réfléchissons … Je ne vais pas continuer comme ça en plein cagnard. Il vaut mieux que j'attende la …
Un cri strident me fige soudain sur place. Instinctivement, je sais de quoi il s'agit, mais je refuse de l'admettre. Non, pas ça. Pas maintenant … Tendu, je scrute anxieusement le ciel dans l'espoir de m'être trompé. Rien. Mon cœur, qui battait à une cadence erratique, commence lentement à s'apaiser. Jusqu'à ce qu'un second cri, plus proche, ne le replonge dans le chaos.
Là ! Je l'ai aperçu l'espace d'une seconde. Un rapace, tournoyant loin au dessus de l'arbre sous lequel je me trouve. Il guette, sentant la fatigue de sa proie. Moi, j'en suis persuadé. Paniqué, je me met à courir. Fuir, je dois fuir, trouver une cachette, n'importe quoi ! Incapable de réfléchir à autre chose, je trace jusqu'à ce que mes poumons me brûlent. Haletant, je me blottis derrière un rocher et regarde de nouveau le ciel, apeuré.
Maintenant, il y en a deux.
Le mélange de surprise et de terreur me cloue sur place. Je ne peux que les regarder tournoyer lentement, perdre peu à peu de l'altitude, se rapprocher de moi … Leurs cris moqueurs résonnent à mes oreilles comme des promesses de mort. La petite proie est faible, fragile … Non loin, d'autres oiseaux de proie leur répondent et s'apprêtent eux aussi à participer au festin. Quatre, cinq … Huit … Leurs cercles sont de plus en plus petits, leur vol, plus frénétique, et …
- BOUGE !
Quelque chose en moi m'arrache à cette contemplation morbide et me force à courir, encore et encore. Je cours au hasard dans cette plaine sèche. Je suis à bout de souffle, mes jambes ne me tiennent plus, mais je continue, comme un pantin à l'agonie. Chaque pas est une souffrance, chaque seconde, une éternité. Au dessus de moi, les cris se sont tus. Cette course sera la dernière. A tout instant, j'ai l'impression que des serres vont se refermer sur ma gorge en feu, qu'un bec avide va venir me transpercer les yeux, que …
Une racine. La perte de l'équilibre. La chute. D'un coup, tout me semble arriver au ralenti. Juste au-dessus de moi, pas un souffle d'air. Mais je sais. Je sais que la chasse a pris fin, et qu'il est l'heure de la mise à mort. Mon corps heurte le sol avec une violence inouïe. La douleur explose alors que je sens un vertige s'emparer de moi. Du sang coule. Hébété, je tente de me retourner, de lever un de mes bras meurtris dans une tentative désespérée de protection … Une ombre arrive. Pas un bruit, pas un souffle d'air. Le faucon fond sur moi, serres en avant. Tout en lui est fait pour cet unique instant. Cette posture meurtrière, ce bec acéré, ce regard qui ne cille pas … En un sens, il est magnifique. Cette pensée s'échappe de moi alors qu'un étau se referme sur mon avant-bras. Je perds conscience.
Tout mon corps me fait souffrir. J'ai mal partout, terriblement soif, et … Je suis en vie. Étonné, j'ouvre un œil pour tenter de comprendre. Allongé par terre, j'ai toujours le bras droit levé devant mon visage. Le faucon s'est posé dessus et me regarde calmement. Dans ma tête, c'est le chaos le plus total. Toutes mes pensées se bousculent, mais je n'arrive pas à trouver d'explication cohérente. Mon corps refusant de bouger, je contemple l'oiseau pendant une petite éternité.
Je ne réalise qu'après plusieurs secondes que je suis de retour dans ma chambre. Mon bras n'a pas bougé. Au loin, j'ai l'impression d'entendre un cri strident. Puis le silence.