Assise en tailleur sur le lit, Mikana lisait. La fraîcheur d'une soirée d'été, contrastant avec la lourdeur de la journée passée, lui apportait une brise parfumée et rafraîchissante. Installée confortablement, elle pouvait entendre de loin le murmure des cigales et le bourdonnement d'insectes tardifs.
Plongée dans sa lecture, elle n'avait pas encore remarqué le petit point noir, présent en face d'elle, contrastant avec le mur couleur ciel. Ce n'est qu'en entendant le bourdonnement se faire plus pressant qu'elle s'arracha à sa lecture, dans un sursaut. L'insecte était passé à côté de son oreille et elle en frissonnait. Elle jeta son livre et vérifia s'il ne s'était pas pris dans ses cheveux. La mouche décidait de se poser non loin d'elle et, dans un élan de courage, elle balança le bouquin et écrasa l'animal. Devant le cadavre inanimé, elle ne put s'empêcher de faire une moue, tant l'insecte lui inspirait de la peur et du dégoût. D'ailleurs, tous les insectes lui inspiraient terreur et dégoût ou, du moins, leur capacité à frôler ses oreilles avec ce bourdonnement insistant, presque criminel.
« Mais quelle horreur. Mais quelle horreur. MAIS QUELLE HORREUR !! » grogna-t-elle à haute voix en essuyant le meurtre qu'elle avait commis.
Les insectes avaient forcément été inventés par le diable en personne, il n'y avait pas d'autre alternative possible. Un si petit corps rempli de desseins diaboliques et doté d'une apparence aussi hideuse ne pouvait qu'être le témoignage de l'existence d'un lieu souterrain réservé aux pires créatures et dont ces bestioles immondes s'étaient échappées.
Satisfaite de son action, elle décida de se replonger dans sa lecture. Seulement voilà : le bourdonnement se fit plus insistant, et la força à se boucher les oreilles, par précaution. Elle repéra un petit point noir, immobile, sur un mur en face. Dans un premier temps rassurée, elle comprit ensuite rapidement que si la bête ne volait pas, elle ne pouvait pas être à l'origine du bruit qu'elle entendait. Elle tourna la tête et remarqua alors un autre petit point noir sur le mur à côté d'elle. Puis un second, et un troisième. En fait, ils n'en finissaient pas d'apparaître, ils se multipliaient, se dédoublaient, le bruit devenait désagréable et parasitait toutes ses pensées. Plus les bestioles augmentaient, plus l'intensité du bruit se faisait sourd, à un tel point qu'elle pouvait en ressentir les vibrations.
Les murs bougeaient par l'afflux d'insectes en tout genre – mouches, coccinelles, sauterelles, guêpes, cafards-. Ce n'était plus quelques insectes disparates, c'était une symphonie de bourdonnements, de corps agglutinés les uns sur les autres, collés, ne faisant presque plus qu'un et dont le bruit à l'unisson provoquait des nausées à Mikana. Elle voulait porter sa main à sa bouche, mais le vacarme que faisait les insectes l'en empêchait. Elle sentait des relents de vomi arriver dans sa bouche et les larmes lui monter aux yeux, tant elle essayait de se retenir de gerber.
Elle se leva violemment de l'endroit où elle était posée, de quoi d'ailleurs ?! Ce n'était même plus un lit ! C'était une vague, une marée d'insectes plus immondes les uns que les autres. Scolopendre et scarabée se mélangeaient aux mantes religieuses et aux cloportes dans ce magmas grouillant et terrifiant. Elle en était entourée, essayait de chasser les nuées qui arrivaient sur elle mais elles étaient bien trop nombreuses, elle battait des bras mais cela ne servait à rien, les insectes ne la frôlaient plus, ils se posaient sur elle désormais, la recouvraient, essayaient de rentrer par tous les endroits possibles et imaginables.
Elle sortit de la pièce où elle était mais les murs de la maison se mouvaient, noirs d'insectes. Arrivée à la porte d'entrée, celle-ci était bloquée, elle ne pouvait sortir. Elle hurlait d'angoisse, jetait ce qu'elle trouvait, se débattait comme elle pouvait, mais elle se faisait aspirer par cet univers irréel rempli de parasites. Elle ne pouvait même plus hurler car les insectes tentaient de rentrer dans sa bouche, tout comme ils essayaient de rentrer dans ses oreilles qu'elle avait dû relâcher, la perdant dans la folie qu'elle vivait.
Elle les sentait rentrer dans son corps, comme s'ils cherchaient à la dévorer de l'intérieur. Elle se savait perdue, elle avait tenté de les tuer, de les chasser, rien n'avait fonctionné, pire même, plus elle avait essayé de les fuir, plus ils s'étaient collés à elle. Elle ne pouvait pas les brûler, de peur de brûler avec eux. Alors, dans une dernière tentative, folle et désespérée, elle se résolu à ne faire plus qu'un avec.
Elle se décida à les manger.
Ouvrant grand la bouche, elle la referma d'un coup sur la première vague qui y pénétrait et les mâcha, les dévora. Et recommença : elle les prenait par poignées, les ingurgitait, les avalait. Elle les sentait encore vivants, vrombissants, croustillants et juteux, tandis qu'elle s'étouffait presque en les dévorant. Il n'y avait plus que l'instinct de survie qui avait pris le dessus, elle les croquait les uns après les autres, elle les avalait pour ressentir au creux-même de son ventre toutes ces victoires qu'elle avait gagnées. Elle les engloutissait afin de ne pas se faire engloutir, elle les absorbait pour les annihiler entièrement, elle se gavait d'insectes, elle pouvait bouffer n'importe lesquels parce qu'elle avait perdu son humanité à cet instant, et ne faisait plus qu'une avec eux. Elle explosait de rire, mangeait presque ses bras, se mordait elle-même, se couchait à même le sol et avançait la bouche ouverte afin de recueillir le plus d'insectes possibles. C'étaient des vagues entières qu'elle assimilait, elle se baignait dans cet marée.
Au bout d'un certain temps, les insectes finirent par disparaître. Elle ne pu dire si c'était parce qu'elle les avait tous avalés ou s'ils s'étaient dissipés, mais il n'y en n'avait plus aucune trace, comme si rien n'était jamais arrivé. Ironiquement, c'était le meilleur festin qu'elle avait pu faire de toute sa vie.
« BUUUUUUUURP » Elle lâcha un énorme rot avant de perdre connaissance.
