Je m'affale sur mon lit, éreintée par une journée de travail. Et quel travail...
- Bon, tu vas pas rester plantée là?
Je sursaute, m'apercevant que mes pas n'ont su franchir le seuil de la porte. Mon premier jour en réanimation... Et donc mon premier patient dans le coma. Je prends une grande inspiration, et suit le chef qui m'accorde à peine un regard. Il ne dit rien, et c'est tant mieux : mon esprit est complètement accaparé par les bruits qui sortent de la chambre. Le respirateur m'évoque les reflux répétitifs d'une mer mécanique, et je reste un instant accaparée par ce tuyau énorme qui sort de sa bouche. Bien sûr, ce n'est pas la première fois que je vois tout cela, mais il y a ici une ambiance qui me met mal à l'aise. Aux vagues dénuées de romantisme s'ajoutent les "bip" incessant du monitoring, et je regarde d'un air morne la ligne verte tressauter de son rythme régulier.
- Qu'est-ce qui lui est arrivé? demandai-je d'une voix blanche, sans même savoir s'il y avait encore quelqu'un dans la pièce pour me répondre.
C'est un homme, la trentaine, caucasien comme on dit. Il n'a rien de plus que les autres dont j'ai pu m'occuper, si ce n'est que c'est bien le premier à ne pas ouvrir les yeux pour me dire son nom. Je fais encore partie des soignants qui ont la lubie étrange de vouloir entendre de la bouche du patient ce qui a bien pu lui arriver.
- Accident de train.
- De train? m'exclamai-je.
L'infirmier pousse un soupir sans méchanceté, sort sa relève et me lance un sourire contrit.
- Apparemment, il est resté bloqué sur la voie avec sa voiture, et s'est fait percuter par un train.
Je me redresse, attrape ma liseuse dans le but de me distraire, en vain. Cette histoire ne cesse de me venir en tête. Se peut-il que... D'un mouvement de la main, je balaie ma pensée. Je laisse de côté Madame Bovary. Quand même, si c'était elle sous le train, l'histoire serait moins chiante...
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Dix-huitième nuit à Dreamland
J'ouvris les yeux. Une fois de plus, je sentis que l'endroit était lugubre avant même que mes yeux ne s'habituent à l'obscurité. Un vent un peu humide me caressa la joue et je perçus comme une odeur de rouille. Je voulus marcher et mon pied souleva avec lui une petite cascade qui s'empressa de faire un boucan du diable. Des boulons, des vis, que sais-je encore! Je me trouvais dans une espèce de décharge où des formes géantes se découpaient entre deux rayons faiblards. Je frissonnai, frictionnai mes bras pour ensuite me souvenir du potentiel irritant de mon pull en laine. Je parvins à descendre de ma pile d'écrous et commençai à marcher au hasard.
Rassemblant ma curiosité, je m'approchai d'une des formes allongées, et une clémence de l'éclairage dévoila tout le mystère. J'avais face à moi une rame de métro couchée sur le côté, comme un animal endormi. En tout cas, endormi depuis un sacré bout de temps, au vu des crevasses que causait son poids sur le paysage. Péniblement, j'escaladai ma trouvaille et m'assis. J'avais encore un moment avant que Pix ne me retrouve, et un grand besoin de réfléchir.
Malgré le fait que le métro de Dreamland ne m'était pas inconnu, je peinais à comprendre le bien-fondé de cet endroit. Pourquoi laisser ainsi des rames entières à l'abandon? De plus, je n'avais pas encore vu de rails qui auraient pu expliquer par quels moyens elles étaient parvenues jusqu'ici...
Qu'est-ce qui se passe?...