Soirée désœuvrée. Peu de courage pour faire quoique ce soit, je me tasse sur le canapé comme une pile de linge sale et soulève mon chat qui couve la télécommande. Je zappe sans grande conviction, et tombe sur un film d'horreur bien connu avec une famille d'américains paumés dans le désert et harcelés par des créatures étranges. Musique, ambiance.
- Je déteste ce film.
Je change de chaîne bien vite, et finis par délaisser complètement la télé qui n'a décidément plus rien de bon à donner. Je m'affale sur mon lit, épuisée par tant d'oisiveté.
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Sixième nuit à Dreamland
- Qu'est-ce que...?
J'avais soudain l'impression d'être transportée dans un décor de conte de fée. Assise contre une terre salissante, adossée à un arbre dont l'écorce griffait mon dos, je levais les yeux pour découvrir une gigantesque forêt. Les arbres entremêlaient leurs branches si bien qu'elles semblaient tenir au-dessus du sol, comme en lévitation. Si quelques aiguilles tenaient encore sur de vieux sapins, elles étaient pourtant les seules à vêtir la forêt. Des buissons épais recouvraient le sol d'un matelas d'épines et de ronces, et je sus très vite que les habits de toile que m'avait - cette fois - accordé Dreamland seraient bientôt dans un piteux état. Il n'y avait pas de chemin au sens propre du terme, et j'allais sans doute devoir progresser lentement dans cet environnement hostile avant de trouver un endroit plus dégagé. Je levai les yeux au ciel, sans parvenir à le voir pour autant : la canopée devait se terminer des dizaines de mètres plus haut que toutes les forêts que je connaissais, et je ne pus m'empêcher de rester un instant bouche bée. J'imaginais difficilement quelle vue magnifique on devait avoir en réussissant à grimper tout là-haut, mais mon léger vertige ainsi que mes piètres compétences en escalade me dissuadaient de tenter l'expérience.
Je me redressais, sentant grincer fidèlement mes articulations. J'étais loin de me considérer comme quelqu'un de courageux, et la forêt en elle-même me plongeait dans un profond malaise. Pourtant, ce ne pouvait être une forêt comme les autres : nous étions à Dreamland, et je devais m'attendre à tout. L'air pesait sur mes épaules avec une lourdeur peu coutumière. Je pris une grande inspiration et choisis de bouger : rester statique dans un environnement aussi inhospitalier me paraissait peu indiqué. Alors que je tentais d'extirper mon pied qui s'était enroulé autour d'une ronce, je posais ma main sur l'arbre qui m'avait soutenue, et poussais aussitôt un cri de surprise. Une texture molle, humide, qui n'avait certainement rien à voir avec de l'écorce, et pourtant se trouvait en plein milieu du tronc, comme une curieuse cicatrice. Je retirais mes doigts par réflexe et contemplais l'arbre avec étonnement.
Là, gros comme un oeuf de pigeon, un oeil me regardait. Il n'avait pas l'air ravi, mais sans doute que de subir ma paluche n'avait rien de réjouissant. Il n'avait ni sourcil, ni cil, et pourtant sa pupille était contractée, brillait d'une lueur qui me confirmait son agacement. Ce n'était évidemment pas l'oeil d'un animal ou d'un humain, qui se serait retrouvé par les hasards et horreurs de Dreamland collé contre l'écorce : c'était l'arbre lui-même qui m'observait.
Aussitôt, comme un chien qui s'ébroue, une vague parcourut la forêt et des milliers d'yeux s'ouvrirent de concert, tous rivés sur moi. J'avais l'impression d'avoir réveillé une âme endormie, et avec une grande impolitesse, qui plus était. Un frisson me glissa dans le cou. Je grommelai doucement :
- Ça m'apprendra à tomber sur des films d'horreur...