Allongée sur la pelouse, le nez tourné vers le ciel, j'appréciais à sa juste valeur le doux vent frais de l'été. Je plissais les yeux et contemplais les rares nuages épars qui flottaient loin au-dessus de moi, se désagrégeant sous la brise pour se reformer, avant de continuer leur course. Peu à peu, le soleil m'imposa une lente torpeur et je m'assoupis.
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Quatrième nuit (sieste) à Dreamland
J'ouvris les yeux et sentis que le sol sous moi avait perdu sa consistance dure et sèche. Je me redressais sur un coude : avec des yeux émerveillés, je constatais que ma main s'enfonçait dans une buche de coton, divinement moelleuse. Je me plantais en tailleur, cueillais de mes mains quelques morceaux blancs qui s'égrenèrent sous mes doigts. Je souris, satisfaite d'avoir trouvé un endroit paisible pour mettre mon idée à exécution.
Je me levais d'abord pour observer mon environnement, mais je n'aperçus rien de plus que des nuages s'étalant à perte de vue. Pas l'ombre d'un Voyageur à l'horizon : j'avais la paix.
- Parfait.
Je m'assis de nouveau sans même avoir la curiosité de vadrouiller un peu. Je devais profiter de ma solitude pour m'entraîner. Presque aussitôt, j'activais mon reîki et me plongeai dans un état méditatif. Je sentis un flux calme circuler dans mon corps. Intuitivement, je me concentrais sur mon pouce droit et lui intimais l'ordre de se séparer de moi. Avec une facilité déconcertante, ce dernier obéit, et je sentis aussitôt que l'énergie ne passait plus par lui. J'ouvris les yeux, et la forme asticotée de mon doigt s'agita lentement. Il s'éloignait peu à peu, sans but donné puisque je lui avais simplement imposé de partir. Je fermai les yeux et tentai de ressentir sa présence, en vain.
Ce que je pensais se produire se révélait juste : quand une partie de mon corps se détachait, elle s'individualisait et devait ainsi puiser dans ses propres ressources. C'était sans doute ce qui avait poussé mon bras gauche à revenir vers moi dans ma précédente nuit, alors qu'il n'avait pas su remplir sa mission. Dès lors, à l'instant même où cette partie détachée m'était rendue, le reste de mon corps s'épuisait pour combler le "trou" qui avait été creusé.
J'avais alors plusieurs possibilités qui s'offraient à moi : avant tout, je pouvais essayer de faire en sorte que l'individualisation de mon membre ne rompe pas le lien énergétique avec moi-même. Cela permettrait en théorie de garder mes membres séparés pendant une durée qui dépendrait de mon propre épuisement, et je ne subirais pas la surprise d'une asthénie harassante lorsqu'il me reviendrait. Cela devait aussi, en théorie, me donner la possibilité de suivre mes membres disparus, comme avec un traceur. C'était sans nul doute l'option qui me paraissait la plus satisfaisante.
Sinon, si garder le lien s'avérait trop difficile, je pouvais charger le membre que je souhaitais utiliser avec une énergie plus grande, afin qu'il se fatigue moins vite. Il faudrait alors combler le manque de puissance provoqué par le don, sans quoi le retour serait d'autant plus ardu à gérer.
Je pouvais également me servir de mon pouvoir d'une manière différente : en détachant mes membres et les récupérant aussitôt, que ce soit pour contrer ou lancer des attaques, je devrais pouvoir minimiser le contre-coup du retour des articulations prodigues, ces dernières n'ayant pas été loin de moi bien longtemps. Cependant, cette dernière possibilité dépendait essentiellement de la puissance que je souhaitais mettre dans ma défense ou mon attaque, et vu ma carrure de mouche, je ne doutais pas que, éloignement bref ou non, j'allais vite tomber dans les choux.
Je fis craquer mes doigts par habitude, et m'attelais à la tâche.