par Alar » 03 Fév 2025, 15:26
"Je suis Lionel, votre chef de bord, il est actuellement 15h50 et votre train est arrêté pour cause d'obstacle sur la voie. Veuillez ne pas sortir du véhicule. Nous devrions repartir d'ici quelques minutes. Le personnel s'excuse pour le désagrément causé."
Le tic de ma montre est un supplice
Le train ne redémarre pas.
Un accident à la con. Quelqu'un s'est jeté sur la voie, ou un animal?
J'en sais rien
Je m'en fous
Redémarre
Le tic ralentit, mais devient de plus en plus assourdissant, comme un battement de cœur. L'aiguille des secondes passe sur le 12, marquant la fin d'une nouvelle minute.
Une madame assise pas loin me regarde agacée. Elle ne doit pas aimer la façon dont je tape du pied sur le sol.
Désolé.
Je commence à trembler
Je vais rater ma putain de correspondance parce qu'un trou du cul a décidé de se suicider sur mes rails, le seul jour de l'année où je prends le train.
Quelle vie de merde.....
Une goutte de transpiration tombe sur ma cuisse. Le stress me ronge les entrailles.
J'interpelle le contrôleur pour lui demander plus de précisions sur l'accident. Il m'ignore royalement. Enfoiré.
Je vais casser un truc.
Je commence à tirer sur mes cheveux.
Il se peut que je commence à pleurer dans les prochaines minutes.
Ou vomir.
Ou les deux en même temps....
Aaaarh....Dégagez le cadavre de ce connard et redémarrez, je vous en conjure. C'est pas compliqué pourtant.
"Oui c'est encore moi Lionel, votre chef de bord, il est actuellement 16h00 et je viens d'être informé qu'une équipe est en route pour évacuer l'obstacle présent sur la voie. Veillez à ne pas ouvrir les portes du véhicule, ainsi qu'à ne pas sortir d'une quelconque façon, je ne voudrais pas que vous deveniez le prochain obstacle présent sur la voie. Nous devrions repartir d'ici quelques minutes. Le personnel s'excuse pour le désagrément. Sachez que le wagon bar est toujours ouvert et que Sébastien, votre restaurateur, se fera un plaisir de vous servir des rafraîchissements."
Ma correspondance est dans 5 minutes.
Et il me parle de son putain de barman parce que oui, évidemment, quitte à être en retard, autant siroter une bonne bière en attendant.
Et donc j'avais raison. Un abruti avait bien choisi de se jeter sous les roues de MON train.
Dieu, que cette ambiance est irrespirable.
Le train reste désespérément bloqué à 2km de la gare. Les quais sont largement visibles.
L'aiguille des secondes passe encore sur le 12.
Il est 16.02 et le train n'a pas avancé d'un mètre.
Bien malgré moi, je commence à renifler en retenant mes larmes.
Bon, ne dramatisons pas. C'est pas comme si j'allais rater un évènement important à cause de mon retard.
Je vais juste arriver à l'enterrement de mon ami, 2h après le début, comme un cheveu sur la soupe, rien de grave, en somme.
Bon, un peu grave mais c'est un drôle quand on y pense.
"Re-bonjour à vous, messieurs et mesdames les passagers. Il est *voix défaite*.... 16h09. Et l'obstacle qui entravait la voie E, sur laquelle nous débarquons, a pu être déplacé. L'équipe de bord, ainsi que la SNCF, s'excusent de l'inconvenance causée. Pour ce qui est des correspondances, le TGV Inoui à direction de Marseille partira à 16h15 voie D, le train intercité en direction de Angers partira à 16h20, avec un peu de retard, voie A. Le train intercité à direction de Savenay est malheureusement déjà parti, le prochain devrait arriver dans 40 petites minutes..."
Le chef de bord continue d'annoncer les correspondances sur un ton complètement vide. On eut cru que c'était son âme qui s'était jeté sur les rails.
Bon bon bon bon, j'ai raté mon train, voilà voilà.
Je regarde mes mains moites de sueur.
Je regarde autour de moi, les gens ont l'air quelque peu pressés, mais la plupart ont l'air au moins de bonne humeur.
Il serait dommage de gâcher ce décor.
Je vais avoir une heure de retard, quel plaisir. Mais au final, est ce que c'est si grave?
Je commence à m'imaginer, débarquant à un enterrement, en retard, dans mes habits beaucoup trop colorés, et malgré moi, je ris.
"C'est bien le genre de choses qui m'arrive, hein?" dis-je avec un grand sourire
Je m'achète une bière, je me pose sur un banc. Quoi de mieux que de siroter une bière en attendant le prochain train?
Qu'est-ce que le retard finalement, si ce n'est l'instrument des meilleurs situations?
Mes yeux se rouvrent grand. Je suis dans mon lit, quelque peu trempé de sueur, mais un sourire toujours flottant sur mes lèvres..
Juste un mauvais rêve, ou une bonne leçon