Phobie : Psychophobie (peur de l'esprit)/ Psychopathophobie par extension
[Euuh... Je tiens à préciser que je considère mon perso comme rêveur jusqu'à l'avant-dernière ligne. Toute capacité ouate ze feuque qu'il utiliserait n'est pas à voir comme une tentative de suggestion ou d'influençage du meujeu (comme pour la fin du rêve technophobique), juste comme, bah du rêve, quoi.
Devrait pas y'avoir de problème, je tenais juste à ce que ça soit clair.]
Pour rappel, mort de Prismos.J'ai toujours été un peu différent. Souvent à l'écart, j'ai mis du temps avant de trouver ma place dans ce monde, et une chose était sûre, cette place n'était pas au milieu des autres. Je m'étais au cours du temps bâti une armure de rationalité et de froideur; elle me protégeait d'un monde que je ne comprenais pas et qui ne me comprenait pas. Pour moi, leurs "émotions" n'étaient que des traces de névroses, des manques affectifs inhérents à l'homme et que seuls moi et une poignée d'autres avions réussi à vaincre. Ils avaient des sentiments, des opinions, j'avais des certitudes. Mais un matin, sans que je sache pourquoi, cette armure avait volé en éclats. Je m'étais éveillé d'un sommeil sans rêve, avec la sensation que ma tête venait d'être broyée, et j'étais empli d'une profonde tristesse.
En regardant autour de moi, j'avais vu des somnifères éparpillés sur la table de nuit. C'est là que j'en ai déduit que j'avais essayé de me suicider. Ce n'est pourtant pas ça qui m'a bouleversé. La nécessité et la futilité de ma mort sont des idées que j'ai depuis longtemps accepté. Non, ce qui m'a surpris, terrifié, même, c'est de n'en avoir aucun souvenir. J'avais toujours vu ma mort comme un acte posé, prémédité et parfaitement réalisé, ne laissant aucune place à l'échec : à mon image. Les pilules sont trop aléatoires, jamais je ne les aurais employé dans ce but. Du moins, pas si j'avais été dans mon état normal. Quelque-chose avait cloché. Pendant quelques minutes, voire quelques heures, j'avais cédé, et c'était ce qui m'effrayait.
Cette peur, qui peut sembler normale, et sans conséquence pour la plupart, a été la petite brèche qui a suffit à me faire basculer. Cette terreur permanente de céder mentalement, et de commettre l'irréparable a peu à peu rongé ma carapace et a fait vacillé mes certitudes : moi était un autre qui pouvait me tuer. Et le pire était que je restais en contrôle. C'était bien moi qui agissais. Pas de perte de conscience, juste de raison.
Seule ma façade restait, je l'espère, inchangée par ce bouleversement profond.
C'est dans cet état de paranoïa, qui durait depuis plusieurs semaines déjà, que j'allai ma coucher un soir.
MusiqueJ'ouvris les yeux dans mon lit. Pris au piège entre la douceur de la couette et la mollesse du matelas, je ne pus que me réjouir d'être encore en vie pour la journée qu'annonçaient les quelques rais de lumière qui filtraient à travers mes rideaux. J'étais encore moi-même, libre de mes choix. Après les « cinq minutes de plus » traditionnelles, je m 'extirpai presque de force de ce confortable refuge.
-Encore une nuit sans rêve , songeai-je, soulagé. Les rêves n'ont jamais été nécessaires à l'homme. Ils ne sont que des parasites issus d'un inconscient pourri ; un inconscient qui gâte l'individu trop faible de l'intérieur.
C'est alors que des coups résonnèrent à la porte de mon appartement. Rapides, brefs et secs. Je jetai un coup d’œil à mon réveil seulement pour constater que les chiffres rouges qui brillaient habituellement sur l'écran noir étaient éteints.
-Je dois avoir des piles de rechange dans le tiroir de la table de nuit. Quoiqu'il en soit, mon visiteur est bien matinal...Je me réveillais habituellement aux alentours de six heures du matin. Oui, c'était réellement très tôt
pour une visite. D'autant que, s'il s'était agi d'une connaissance, cette dernière n'aurait pas manqué de me prévenir par un sms ou un coup de fil avant d'arriver.
-Le propriétaire ? Non, je suis à jour sur mon loyer. La police ? Ils se seraient annoncés.Les coups se répétèrent, toujours aussi agressifs. Je commençai à redouter des intentions néfastes chez la personne qui les assénait, mais cette hypothèse tranchait totalement avec la faiblesse des chocs. Je n'arrivai pas à cerner mon visiteur, et ça ne me plaisait pas,
Aussi me saisis-je d'un couteau en passant par la cuisine. Je le glissai dans ma poche et continuai d'avancer vers la porte. Peut-être cela vous semblera-t-il un peu extrême, c'était néanmoins une précaution habituelle pour moi. Où est le mal, après tout ?
J'arrivai dans le vestibule au moment où une troisième salve retentissait. Je me mis à parler assez fort pour être entendu :
-Monsieur, dis-je, ou Madame ; je vous demande pardon, mais le fait est que je dormais, et vous vîntes frapper si doucement à ma porte que je n'étais sûr de ce que j'avais entendu -j'ouvris alors la porte en grand ;- les ténèbres et rien d'autre.
Du silence opaque qui me faisait face, seul un murmure se détacha : «Tremens». Une étreinte glacée enserra mon torse, tandis que mes forces me quittaient.
Je refermai précipitamment la porte et reculai de plusieurs pas, avant d'éclater de rire. Un courant d'air dans la cage d'escalier, et me voilà dans tous mes états ! Que je suis pathétique, ridicule, naïf et superstitieux ! Encore hilare de ma propre surcharge émotionnelle, je repars vers mon lit. Ces... événements -appelons-les ainsi- m'ont au-moins redonné l'envie de me reposer à nouveau !
Je retraversai ainsi tout l'appartement, posai le couteau sur ma table de chevet et m'allongeai sur le matelas. La couette remontée jusqu'à mon menton, je me préparais à me rendormir.
Je n'y parvins pas.
Les coups avaient repris. Toujours les mêmes, violents, mais délicats. Les yeux grand ouverts, dans le noir, j'écoutais. Un choc, puis deux, puis trois, puis d'autres. Cette fois, ils ne s’arrêtèrent pas. Ils pleuvaient, comme s'ils voulaient ne jamais cesser. La terreur m'envahit. Les coup continuaient. Je saisis mon couteau, aveuglé par la peur et la colère, et fonçai vers la porte, quand je fus stoppé net dans mon élan. Les coups ne venaient pas de la porte. C'était à la fenêtre qu'on frappait ainsi. Et je vivais au cinquième étage d'un immeuble, en ville. Qui donc pouvait...
Je voulais, non, je devais en avoir le cœur net. Avançant avec précaution dans le vacarme assourdissant, j'ouvris d'un grand mouvement les volets. Les coups cessèrent immédiatement, et restai sans voix. Il n'était pas six heures, comme je l'avais imaginé ; dehors, la nuit était encore noire, et noyait le monde dans son inextricable étreinte.
-Mais... Tout-à-l'heure... Il y avait de la lumière qui...Je n'eus pas le temps de finir ma phrase. Faisant voler en éclat le silence qui s'était alors installé, une masse noire se projeta par la fenêtre et pénétra dans ma chambre. Cette forme poussait des cris atroces tout en virevoltant à travers toute la pièce. Je me jetai au sol et couvris mon visage de mes mains pour le protéger de cette tempête. J'entendais des objets tomber et se briser au milieu des hurlements de la chose qui se mêlaient aux miens.
Puis tout cessa.
Quand j'osai enfin relever les yeux, je ne constatai rien du chaos auquel je m'attendais. Tout était parfaitement en ordre. Devant moi, perché sur le buste de Red Hood qui trônait sur mon étagère, se tenait un corbeau.
Un corbeau ? C'était donc lui qui frappait ainsi ? Cette fois, néanmoins, je ne ris pas, comme la fois d'avant. Mon cœur battait encore la chamade, et ma seule envie était de chasser ce volatile importun et de retourner dormir.
Tout en me calmant, je m'approchai de cet oiseau de mort et commençai à agiter les bras pour l'effrayer, mais il ne bougeait pas. Il se contentait de me fixer avec les billes noires qui lui servaient d'yeux. Je n'osais me rapprocher plus près de ses serres et de son bec acérés. Sa tête oscillait par à-coups, tantôt à droite, tantôt à gauche, mais il ne me quittait jamais du regard. Enfin je le résolus à faire un pas de plus en avant.
-Pas la peine, gamin, tu peux rien contre moi.Nul mot ne peut décrire le mélange de surprise et de panique qui s'empara de moi à ce moment là. Je tombai à la renverse face à ce... à cette chose qui arborait le physique d'un corbeau mais parlait d'une voix humaine, terrifiante de banalité.
-Que... Comment ?-Ah, j'adore ce coup-là... Ils réagissent toujours comme ça. Bref. Ce qui se tient fièrement devant toi, mon grand, c'est une entité de loin supérieure à vous-autres stupides humains. Je visite certains d'entre vous, ceux qui ont un profil... intéressant. Et tu as l'honneur, ou plutôt la malchance, d'en faire partie.Petit à petit, je commençai à me remettre. Même si cette créature était fort improbable, elle n'en était pas moins présente en chair et en plume à quelques mètres de moi. J'acceptai donc cette réalité, non sans de nombreuses interrogations que je gardais néanmoins pour plus tard.
-De quoi parlez-vous ? J'avoue ne rien comprendre à votre discours...-Ce ton pompeux... Vous me dégoûtez, toi et tes semblables. Bref. J'ai un boss, et il a besoin d'esprits. Je prends le tien avec moi. D'habitude, je réveille des souvenirs douloureux provoquer le rejet, mais t'as l'air trop stupide pour en avoir. En gros : laisse-toi faire, ça sera plus facile pour tout-le-monde.-Vous allez... me tuer ?-Mais non...Vois-tu, mon boss a besoin d'esprits. Il nous faut donc un gars comme toi, qui en veut plus. Mais vous autres humains avez des réflexes de protection stupides. Quand vous avez peur de votre propre esprit, comme vous êtres trop faibles pour l'éjecter, vous l'enfermez. Et vous vous croyez enfin rationnels, débarrassés d'un inconscient et d'une touche de folie encombrants. Du coup, il est assez dur à récupérer. Mais t'inquiètes, on a des méthodes pour ça.La chose venait de me présenter sa funeste mission.
-Vous voulez me rendre fou, c'est ça ?-Tu poses trop de questions. Viens là.Alors, sans qu'aucune source de lumière n'apparaisse, l'ombre du corbeau s'étendit jusqu'à mes pieds, puis commença a me recouvrir.
-Non ! Vous ne m'aurez pas ainsi !Mais d'avoir pu esquisser le moindre geste, mon corps tombait inconscient, et je fus aspiré dans des ténèbres si épaisses qu'elles semblaient solides.
Je tombai pendant des heures. Ou quelques secondes. Je ne sais pas. Je me rappelle juste la voix du corbeau qui disait « Laisse-toi faire, ça sera rapide ».
MusiqueSans que j'en ai eu conscience, la chute avait cessé. Un instant, je tombais, le suivant, je marchais dans le noir. Je n'y voyais rien, pourtant je savais où j'allais.
Puis la lumière se fit, et je repris mes esprits. J'étais dans un couloir aux murs tapissés de visages. Des faces de porcelaine blanche, certains souriants, d'autres neutres. Leurs bouches, lorsqu'elles étaient ouvertes, étaient des puits de ténèbres, et leurs yeux -les miens, constatai-je- étaient braqués sur moi.
-Qu'est-ce-que c'est que cette horreur ? pensai-je.
Quel genre de dégénéré pourrait créer une telle chose ?Pas seulement les murs, réalisai-je soudain ; le plafond et le sol également. Voyant sur quoi mes pieds reposaient, mon cœur fit un sursaut, et mes jambes perdirent toutes leurs forces. Je m'écroulai sur ce pavage immonde. Je ne sais pas si je perdis connaissance, à ce moment là, mais la surface qu'avait rencontré ma joue était resté froide, quelqu'ait été la durée du contact.
-C'est immonde ! Était la seule pensée cohérente que mon esprit choqué parvenait à formuler. Je me relevai précipitamment, les membres encore tremblants, et commençai à courir. Je trébuchai sur le sol inégal, les yeux des choses me suivant, ne me lâchant jamais. Plus j'avançais, plus il en apparaissait, alors je continuai à courir.
Encore une fois, je ne peux affirmer combien cela dura. Mais petit à petit, ma raison parvint à reprendre le contrôle, et je m’arrêtai. Je n'étais pas essoufflé, comme j'aurais pu m'y attendre. Autour de moi, les visages avaient changé. Leurs émotions semblaient plus puissantes. Alors que certains riaient, la bouche grande ouverte, d'autres étaient tordus dans des grimaces de souffrance. Mon cœur s'était calmé, mais j'étais tétanisé par ces protubérances informes. Ma respiration se faisait irrégulière et mes poumons commençait à me faire souffrir.
C'est alors qu'un bruit provint des ténèbres qui me faisaient face. Le son écœurant d'un abcès qui crève, plusieurs fois.
-Qui est là ? J'entendis alors ce qui semblait être une succion laborieuse, puis une déglutition.
-Qu'est-ce-que c'est que ça, encore ?Sans que je sache pourquoi je marchai vers la source de ses bruits. La terreur me tordait les boyaux. Ces lieux étaient malades, corrompus, dégénérés. Vomis par l'esprit malsain d'un fou névrosé, rongé par quelque-chose qui n'était pas humain. Pourtant je continuais de m'y enfoncer, plongeant toujours plus outre dans cette antre de démence. Les ombres s'écartaient devant moi, et se refermaient dans mon dos, révélant puis ravalant inlassablement de nouvelles faces de plus en plus marquées.
Le festin que j'entendais devait se rapprocher, car les bruits devenaient de plus en plus forts. Tâchant de le localiser, j'aperçus soudain une forme, petite, accrochée à l'un des visages. Elle se plaqua une fraction de seconde sur le mur, puis s'en décolla. La succion résonna encore sur les murs, puis le phénomène recommença. Je m'étais alors suffisamment approché pour voir de quoi il en retournait.
-Te revoilà, mon jeune ami ! Cet endroit est-il à ton goût ?Le corbeau avala le morceau d’œil qui pendait de son bec en un seul mouvement, puis inclina la tête vers moi, laissant borgne le visage empreint d'une joie aveugle sur lequel il était perché.
-Parce-qu'il est au mien ! Glups.Devant cette désinvolture, la colère me saisit.
-On arrête les jeux ici. Ramènes-moi chez moi. Tout de suite.Il y avait dans ma voix le peu de conviction que j'étais parvenu à réunir. Elle ne masqua pas ma peur, loin de là.
-Chez toi ? Mais on y est ! L'oiseau sauta de son perchoir et vola à travers le couloir pour se poser sur une face grimaçante,
-On est même plus chez toi que tu n'y as jamais été...-RAMENES-MOI CHEZ MOI !J'avais hurlé sans m'en rendre compte. Je me rendis compte que ma voix sonnait faux.
-TOUT-DE-SUITE, PUTAIN ! J'EN AI MARRE DE CES CONNE...Alors la voix du corbeau m'interrompit. Elle n'était plus du tout moqueuse et légère.
-Tous ces sentiments que tu as opprimés...Les sons qui sortaient de son bec étaient graves et puissants. Ils occupaient tout l'espace autour de moi, m'attaquaient de tous les côtés. S'ils avaient été solides, j'aurais été broyé sur place.
-...toutes ces émotions que tu as refoulées...Alors je réalisai que le corbeau n'était pas seul à parler. Toutes les bouches qui m'entouraient récitaient le psaume que j'entendais en cet instant. Tous les visages, grimaçants, hurlaient les mêmes phrases à l'unisson.
-...tu croyais les avoir fait disparaître ? Tu les as juste enfermées dans un coffre que tu croyais inviolable. Mais à jouer avec la conscience, on perd souvent plus qu'on ne mise. Et toi, mon jeune ami, toi...Les faces se turent. Seule la voix du corbeau résonna dans le couloir autrement silencieux.
-...tu as perdu.Alors les visages se mirent à pleurer et à vomir un liquide noir. Il ruisselait sur leurs faces blanches et s'accumulait sur le sol, faisant ressortir encore les masques de porcelaine qui couvraient le sol. Le corbeau, posé sur le sol, s'enfonçait peu à peu dans cet pétrole luisant.
-Par trois fois, tu es né. Et par trois fois, tu es mort. Par trois fois, tu vas renaître, et par trois fois, tu vas mourir. Enfin, tu seras à nous.Il disparut tout-à-fait dans le liquide opaque qui m'atteignait les chevilles. Alors, quelque-chose tomba derrière moi. Je me retournai à temps pourvoir un visage terrorisé flotter quelques secondes avant de sombrer, ne laissant sur la surface huileuse que mon reflet pour me fixer. L'expression y était la même.
Puis un second masque se décrocha. Puis un autre. Ils tombaient en masse. Le couloir entier s'effondrait derrière moi, et le liquide montait. Je devais partir d'ici. Je me retournai alors et me mis à courir. Vers où ? Vers quoi ?
-Tout sauf ça. Pensai-je.
Tout sauf ça.Je pataugeai plus qu'autre-chose, mais j'avançais, c'était tout ce qui importait. Autour de moi, les visages tombaient de plus en plus vite.
-Tout sauf ça...Avec du pétrole jusqu'aux genoux, tous mes efforts semblaient vains. Je m'engluais dans cette mélasse inextricable, vomie, à en croire cet oiseau, par mes émotions trop longtemps honnies. Ridicule, quand on y pense.
Pour ne rien arranger, je commençais à m'essouffler. La fatigue qui n'existait pas quelques minutes auparavant avait fondu sur moi en un instant. Je ne tiendrai pas longtemps. Mais je continuais tout-de-même.
La lumière diminuait alors que le liquide montait. J'étais désormais immergé jusqu'à la taille, mais avançai presque en aveugle. Je savais seulement qu'il fallait aller tout droit.
Derrière moi, j'entendais les visages se décrocher. Je ralentissais, embourbé comme je l'étais, pourtant ils ne semblaient pas me rattraper. C'est là que j'aurais dû me rendre compte que tout ça n'était qu'un jeu destiné à distraire un observateur puissant, mais, alors, seule la fuite comptait. Je courais toujours plus outre.
Je n'en pus soudain plus. Je m'arrêtai, vide de mes forces. Tous mes efforts et ma volonté étaient concentrés dans mon maintien. Je ne devais pas tomber dans cette mer de ténèbres. Partout autour de moi, les murs en étaient désormais recouverts ; les visages n'étaient même plus reconnaissables. Néanmoins, les quelques yeux qui demeuraient visibles me fixaient toujours.
Soudain, le silence.
Je jetais un coup d’œil par dessus mon épaule ; plus rien ne bougeait. Seules quelques bosses noires que je devinais être des faces de céramique flottaient sur l'huile autrement parfaitement lisse.
Je me remis prudemment à marcher. Enfin, c'était mon projet. Car alors la surface creva juste devant moi et le corbeau en surgit, oiseau de malheur couvert d'un pétrole luisant et poussant des croassements enragés.
Je poussai un hurlement de terreur en tombant à la reverse. Mais tandis que je m'attendais à m'enfoncer dans la mélasse épaisse dans laquelle je pataugeais l'instant d'avant, je ne sentis rien. Il me fallut une bonne seconde pour réaliser que je ne chutais pas seul. Un trou s'était ouvert dans le sol, et je tombais désormais avec plusieurs faces, tandis que le flot noir se déversait autour de moi. Puis le trou disparut et je compris que le liquide s'y était engouffré pour mieux me broyer lorsque la chute atteindrait son terme.
Alors ma tête heurta une surface dure comme de la roche, et ma nuque se brisa. Puis mon torse fut projeté sur une autre paroi, et je sentis mes côtes rompre, et leurs éclats s'enfoncer dans ma chair. A partir de là, je ne ressentis plus rien. Je m'écrasai simplement au sol, dans une obscurité totale. Ma gorge s'emplit de l'épais liquide, et je perdis connaissance.
MusiqueQuand je rouvris les yeux, j'étais assis sur une chaise. Après que mes yeux se soient accoutumé à l'obscurité, je discernai la pièce dans laquelle je me trouvais. Les murs étaient des grillages couverts d'une substance semblable à la chair, qui pulsait, comme si elle eut été vivante.
De derrière les cloisons, des bruits divers me parvenaient. Des gémissements, des cliquètements et, très lointain, ce qui me sembla être un coup de feu.
De ce qui venait de m'arriver, je n'avais alors aucun souvenir. Ils reviendraient plus tard, mais je ne le savais pas encore.
Alors que je m'accoutumais à l'obscurité, je constatai que, devant moi, se trouvait une poupée. 30 centimètres environ, en toile à sac déchirée par endroit. Elle était sur un tabouret, immobile, et me regardait fixement des ses yeux noirs et vides.
Puis le mur explosa.
La partie en chair fut arrachée du grillage, révélant dans chaque direction des cages similaires, chacune contenant un clone de moi même. Tous étaient apparemment immobiles une seconde plus tôt, et s'éveillaient à présent. De ma droite provenaient des gémissements terrifiants. De ma gauche, rien.
Je n'eus pas le temps d'en constater plus car mon propre corps se mit à bouger, contre ma volonté. Mon bras gauche saisit la poupée et l'approcha de mon visage. Ma tête se mit à pendre en arrière, comme si toute force l'avait quittée. Les yeux de la poupée étaient désormais à dix centimètres des miens.
Ma main droite se dirigea vers la boule qui servait de tête à la poupée. Alors, très délicatement, mon index et mon pouce se posèrent de part et d'autre de sa face, et la redressèrent. Alors, ma propre tête se remit droite, dans l'axe de mon dos. J'étais face à cette boule de chiffons, qui me dévisageait. Puis une sorte de comptine résonna dans ma tête.
Cling, cling.
Ma main se mit à osciller de droite à gauche, et la tête de la poupée suivait le mouvement. Avec effroi, je réalisai qu'elle n'était pas seule. Mon propre cou bougeait de la même manière, et ma tête bringuebalait identiquement. Très vite, je fus pris de nausées, et de crampes dans mon cou. Mais je ne pouvais pas me contrôler. Pas même esquisser une grimace de douleur. Cela continua, longtemps.
Cling, cling.
Puis des bruits de pas. Ils ne résonnaient pas dans cette pièce sans murs et sans plafond, simplement divisée par des grillages, mais ils se rapprochaient. J'entendais ma voix, qui accompagnait ces pas.
-Putain ! Arrêtez !Mon esprit voulait hurler, lui aussi. Appeler au secours. Mais, alors que les pas atteignaient ma cellule, mon regard croisa celui de l'autre moi alors que ma tête s'immobilisait. Ils étaient emplis d'une terreur sans nom. Alors ma bouche articula ces mots :
-J'ai un tour à te montrer...Mes doigts accentuèrent la pression sur le crâne de la poupée, et d'un coup sec, firent pivoter ma tête d'un demi tour. Je m'effondrai, noyé dans l'inconscience.
MusiqueJe rouvris les yeux, sans aucun souvenir de ce qui m'était arrivé quelques instants auparavant. En fait, non. Je n'ouvris pas les yeux, puisque, comme je m'en aperçus après un certain temps, je n'avais pas de paupières. Pire : je n'avais pas de corps. Je n'avais conscience que de mes yeux, grands ouverts, et du silence absolu qui m'entourait.
Alors que les secondes passaient, je réalisai où j'étais. Ou plutôt dans quel état. Je flottais dans un bocal. Mes yeux, probablement mon cerveau, et rien d'autre. Sur le moment, cela ne me choquait pas. A vrai dire, la logique des rêves est différente de la nôtre.
Soudain, un miroir tomba devant le bocal. Cela m'aurait fait sursauter si j'avais eu des muscles.
Quoiqu'il en soit, je me voyais à présent, et mes hypothèses furent confirmées : j'étais bien un cerveau relié à des yeux. Mais alors je constatai, sur le sommet de mon encéphale, une sorte de créature, une araignée toute faite de métal.
-Hein ? Qu'est-ce-que c'est que cette chose ?Alors l'araignée leva deux pattes. Des membres effilés, munis d'une aiguille d'au-moins quinze centimètres.
-Oh putain !Elle les enfonça alors dans mon cerveau. Bien-sûr, je ne sentis rien, mais la tension était là. Cette chose était en train de charcuter mon organe le plus important, et j'étais impuissant à réagir. Alors, elle les retira, apparemment insatisfaite, et recommença. Encore et encore.
Au bout d'une dizaine d'essais, je commençai à avoir des hallucinations. Je voyais des fragments de vies qui n'étaient pas les miennes, dans un monde qui m'était étranger.
L'araignée ne bougeait plus. Avait-elle fini son ouvrage ? Soudain, je me sentis soulevé. La bête robotique faisait office de crochet et m'extrayait du bocal. Je fus alors posé sur un tapis roulant. Devant moi, d'autres cerveaux.
Le tapis avançait, s'arrêtait, puis reprenait sa course. Au bout d'un moment, j'aperçus un écran. Un œil géant y était affiché. Dès que le tapis stoppait, il examinait minutieusement le cerveau qui était posé devant lui.
-Oui.Son avis s'inscrivait au bas de l'écran.
-Trop abîmé.…
-Oui.Puis vint mon tour.
-Non. Je ne suis pas sûr de pouvoir en faire quoi que ce soit.Alors, mon araignée me souleva, et me posa sur une autre file. Le tapis avançait, mais celui-là ne s'arrêtait pas. Mes yeux étaient bien positionnés pour voir quel sort m'attendait : devant moi, des masses énormes broyaient les cerveaux recalés. Elles étaient couvertes de sang et de matière grise.
Terrifié par la situation, le temps qui me restait à vivre semble ne durer qu'une seconde.
Puis les murs d'acier se refermèrent sur moi.
MusiqueEn ouvrant les yeux, je réalisai que j'étais dans ma chambre, seul, allongé sur mon lit. Ma mémoire revenait. Tout ce que j'avais rêvé : les trois morts dont m'avait parlé le corbeau.
-Tssssssssss... Quel crétin je fais...Je me levai, encore tremblant. Mais le cauchemar était fini, j'étais enfin réveillé.
-Eh non, gamin !Je me retournai lentement. Je n'osais y croire. Le corbeau était toujours là, perché au même endroit, sur mon buste de Red Hood.
-Maintenant, tu devrais être prêt.Une silhouette sortit alors des ténèbres. Si la folie devait avoir une apparence, jamais je ne lui aurais donné celle de ce grand homme maigre et moustachu qui se tenait devant moi. Habillé à la victorienne, haut-de-forme et monocle, il avait l'air sympathique et avenant.
Le corbeau alla se percher sur son épaule.
-Oui, docteur, je pense. Le rejet devrait se faire sans problème.J'étais tétanisé. Je n'osai parler. Ce fut l'homme qui rompit le silence.
-Bonjour à toi. Je suis le docteur Tremens. Je suis venu prendre des choses qui m'intéressaient. Le maître a besoin d'esprits frais.Je parvins finalement à ouvrir la bouche et à articuler quelques mots.
-Mais qu'est-ce-que vous me voulez, putain ? Où on est ?-Mon ami ici présent a déjà répondu à ta question. Et où sommes-nous, selon toi ? Dans ton esprit, bien-sûr ! Tu en es le prisonnier, et nous les nouveaux propriétaires... Où d'autre pourrai-je aller chercher le précieux nectar dont a besoin le seigneur de la folie ?-On est... dans mon esprit ?-Montre lui, ordonna-t-il au corbeau.
Ce dernier s'envola alors, se posa sur une étagère, et entreprit d'en faire tomber les objets. Certains, vases, verre, bouteilles, se brisèrent sur le carrelage froid. Immédiatement, je sentis ma raison s'altérer.
-AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !Je tombai à genoux, ma tête entre les mains, alors que des sifflements, vrombissement et bruits d'explosions saturaient mon ouïe. Je voyais des flashs de couleur, alternant avec des images monstrueuses et terrifiantes.
-Tu vois ? Il est inutile de résister. Après ce petit rituel que je t'ai fait subir, tu nous a ouvert les portes de ton âme. Désormais, nous sommes libres de nous y servir. Laisse nous faire, et ça sera plus facile pour tout le monde.J'entendis le bruit d'un bouchon qui sautait, puis un bruit d'aspiration. En relevant la tête, je vis que le docteur tenait une énorme bouteille, qui se remplissait peu à peu de volutes de fumée noire. En regardant autour de moi, je réalisai que la fumée provenait de tout ce qui m'entourait. Petit-à-petit, mon esprit s'effritait et s'évaporait pour aller se faire emprisonner dans ce récipient de malheur.
-NON !De nouveaux flashs m'assaillirent. Je retombai au sol, impuissant.
-Arrêtez !La fumée serpentait sur les murs pour aller remplir la bouteille, et je perdais peu-à-peu mes forces. Alors une douleur inimaginable s'empara de mon corps tout entier. En regardant, je constatai que mon propre corps s'évaporait lui aussi.
-Non...Parvins-je à articuler. Mais rien n'y faisait. Le phénomène continuait, encore et encore, et il continuerait jusqu'à ma fin.
MusiqueC'est alors que je pris conscience. Nous étions dans mon esprit. J'étais le seul maître ici. Nul autre que moi.
-Nul autre que moi.-Qu'est-ce qu'il dit ?-Je ne sais pas, docteur. Il doit délirer.-Ce n'est pas notre affaire, de toute façon. La bouteille est bientôt plei... Quoi ?-Un problème, seigneur ?-L'élixir, il reflue !-C'est impossible, maître. Nous l'avons préparé, et il avait toutes les prédispositions nécessaires !-Et pourtant, il résiste, comment ? Il nous faut partir. Ce qu'on a déjà récupéré suffira.
Mais alors qu'ils se dirigeaient vers la porte grande ouverte de mon esprit, celle-ci claqua violemment. La fumée qui flottait dans la pièce vint m'entourer, alors que je me relevait. Un sourire distordait ma face.
-Moi, prisonnier ? Vous, les nouveaux propriétaires ? Non, docteur, non. Regardez mieux. C'est vous qui êtes coincés ici...Mon visage se redressa. Je regardai droit dans ses yeux. La peur m'avait quitté. Cet esprit était le mien, et je ne voulais plus m'en séparer. Ni l'enfermer. J'acceptai ma part d'irrationalité, désormais. J’embrassai enfin celle qui faisait de moi un être humain complet. Celle qui m'avait manqué durant de si longues années.
-...avec moi.La fumée prit forme alors forme, prenant une texture huileuse en se densifiant. Partout autour de moi, des images de moi-même apparaissaient, leur regard noir fixé sur le docteur qui, à son tour, devenait nerveux. Puis les clones devinrent des corbeaux qui flottaient dans la pièce, croassant et brisant l'air de leurs ailes fantomatiques.
-Si tu crois que cela suffira à m'arrêter ! Hah, jeune sot.Alors tous mes corbeaux convergèrent sur le sien, qui fut mis en pièces dans l'instant, poussant des cris abominables dès qu'il réalisa ce qui se passait.
-Tu le regretteras.-Non, docteur. C'est vous qui allez regretter d'être entré là où vous n'étiez invité. Cet esprit est A MOI !J'avais hurlé de rage. Alors la silhouette de l'homme commença à devenir floue. Il disparaissait.
-NON !D'un seul élan, mes oiseaux de morts et moi-même nous projetâmes sur l'être de cauchemar. Je parvins à l'enserrer juste avant qu'il ne disparaisse totalement.
J'ouvris les yeux dans le hall d'un manoir victorien. Le docteur était juste devant moi, dans les escaliers immenses qui menaient à l'étage. Immédiatement, il se rua en arrière, et saisit un sabre suspendu au mur. Il le tenait tendu en avant, pointé sur moi, comme s'il eut voulu me transpercer. Une voix provint d'une pièce adjacente.
-Mon époux, est-ce vous ?Son visage se figea dans une expression de terreur. Mon sourire s'élargit.
-Ma douce ! Ne venez pas, je vous en conju... !Mais il était trop tard. La femme, ou plutôt la créature, était apparue dans l'embrasure d'une porte proche. Elle avait la peau sombre, des oreilles pointues, et de longs cheveux blancs. De petites ailes de démon lui dépassaient du dos.
-Seigneur ! Qui est ce garçon ?-Une expérience ratée. Retournez au salon, je vais devoir en disposer, et ce spectacle n'est pas digne de vous.Alors une petite tête apparut au niveau de la taille de la femme. Un garçonnet observait lui aussi son père menacer un inconnu avec un sabre.
-Mère ! Il me fait peur !Le docteur perdit patience.
-Emmenez-les !La porte se referma précipitamment alors que la mère emportait ses enfants dans l'autre pièce. Alors l'homme chargea, sabre en avant.
-Nous sommes chez moi, ici ! Tu n'y as nul pouvoir !Alors la bouteille explosa dans son dos, et la partie de mon esprit qui y était contenue se jeta sur l'homme. Des filaments rentrèrent dans sa bouche, son nez et ses oreilles, et firent de même avec moi.
Nous étions à présent reliés par cette fumée.
-Serez-vous assez bon pour me donner votre sabre, mon bon docteur ?L'arme tomba sur le sol. Je la ramassai. Sans savoir comment, je savais que le docteur n'était plus soumis qu'à ma volonté. Des images terrifiantes se déroulaient dans sa tête. Je les voyais aussi, avec délectation. Des images qui seraient bientôt réalité. Il se mit à convulser et à vomir.
-Voyons ! Quel hôte n'ouvre pas la porte à ses invités ?
Avec violence, il fut projeté sur la porte d'où la femme et son enfant m'avaient regardé. Je les entendis hurler de frayeur alors que le corps du père de famille s'écrasait devant eux.
-Pitié ! Laissez-nous !Je piétinai le panneau de bois qui gisait sur le sol.
-Il est trop tard, madame. Le travail de votre mari a laissé des marques indélébiles.Je fis s'asseoir le docteur sur une chaise. Il parvint à articuler :
-Je suis désolé, tu m'entends ! Je ne faisais que servir mon seigneur !Je ne prêtai aucune attention à ses dires. De nouveaux liens venaient de se créer avec la femme et les quatre enfants, deux garçons et une fille.
-Je vous ai dit que vous le regretteriez.-Tu m'as déjà pris mon assistant ! Que te faut-il de plus ?L'un des garçons se leva. Je tendis le sabre vers lui.
-Non, arrête !Le docteur était le seul à pouvoir parler. Le garçon qui était debout n'affichait aucune expression, mais son regard était chargé de terreur. Alors, il fit un pas en avant, et sa gorge vint s'enfoncer sur la lame.
Je la retirai alors que le père hurlait.
-Tiens, je peux les tuer !Je retirai la lame ensanglantée et la tendais vers la fillette qui se levait à son tour.
-Vous avez pris ce que j'étais, je vais prendre ce pour quoi vous vivez.Ainsi, cloué sur sa chaise, le docteur assista à la suite. Quand tout fut fini, le silence n'était interrompu que par les sanglots de l'homme, qui avait cessé de hurler après le troisième enfant. Je pris alors un ton amical.
-Regardez, docteur Tremens ! Je viens juste de massacrer toute vôtre famille ! Alors, qu'est-ce-que ça fait ? Qui est le docteur à présent ? Pourquoi ne les sauvez-vous pas ? Tout en parlant, je m'approchais de lui. Mon visage était désormais à quelques centimètres du sien.
-Si vous êtes un si bon docteur, alors pourquoi votre famille est-elle morte ?Il était abattu. Brisé. Il trouva néanmoins la force de relever la tête. A travers ses sanglots, il tentait de hurler.
-UN MONSTRE ! TU ES UN MONSTRE !Je répondis, bien plus fort.
-MAIS QUI L'A CRÉÉ, CE MONSTRE, DOCTEUR TREMENSTEIN ? HEIN ? QUI A RÉÉLEMENT TUE VOTRE FEMME ? ET VOS ENFANTS ? QUI A LIBÉRÉ CE QUE J'AVAIS ENFERME ? C'EST VOUS, DOCTEUR ! VOUS SEUL !Je repris un ton calme, tout en rompant le lien, sachant pertinemment qu'il ne tenterait rien.
-Je vais vous laisser, à présent. Vous savez où se trouve la boîte, dis-je en regardant la commode.
Je me redressai, laissant l'homme à ses sanglots. J'enjambai les cadavres et sortis. En atteignant la porte d'entrée, j'entendis un coup de feu. Les sanglots avaient cessé.
Je ne le savais pas encore, mais je venais d'obtenir un nouveau statut. Celui de voyageur.